"Coucou", récit de chasse
Du haut de mes sept ans, je possède déjà en moi cette passion folle pour la nature, pour la pêche et la chasse. Demain, nous sommes le deuxième dimanche de septembre 1977, date de l’ouverture de la chasse. Comme tous les samedis en période cynégétique, toute la petite famille part chez mes grands-parents à Moulins-sur-Allier.
Je ne dors pas de la nuit, excité comme une puce. Je rêve à ce lièvre que je prélèverai demain, avec ce nouveau fusil à flèches, que Pépé Marius m’a acheté dernièrement chez le marchand de jouets.
Ousia *, notre femelle épagneul, elle non plus, n’a pas dormi dans sa panière, mais contre les étuis des fusils et les bottes que Pépé Marius a entreposé dans l’entrée. Elle ne veut surtout pas qu’on l’oublie. Pendant la nuit, à pas de loup, je descends de ma chambre la voir, la caresser et m’assurer que mon fusil à flèches n’a pas bougé…
L’horloge d’en bas sonne cinq heures.
Papa me demande de me lever, je ne dors pas, saute dans mes affaires. Nous partons pour la petite chasse de la Sologne bourbonnaise, non loin de Chevagnes, que mon grand-père possède.
Papa, Pépé Marius y chassent depuis des années avec l’agriculteur et ses frères.
Nous buvons le café chez ce paysan vigoureux, taillé pour casser les cornes des bœufs charolais lorsqu’il les arrête dans les foires… Nous mangeons un bout de brioche et ils boivent un verre de blanc d’Alsace, en se remémorant d’étranges et invraisemblables aventures où se complaît l’humeur hâbleuse des chasseurs… Cela me paraît long, trop long. Je trépigne d’impatience. Notre épagneul, assis sur la banquette arrière de la Citroën GS break, la truffe collée à la vitre arrière, s’impatiente aussi.
Il est enfin huit heures, nous prenons les fusils. Je chasse avec Pépé Marius : il me place derrière lui, au poste. Les autres chasseurs traquent en compagnie des chiens, dans le bois dit « des hospices de Beaune ». Mon chapeau tyrolien bien enfoncé sur la tête, mon fusil superposé, ressorts bandés et chargé de deux flèches à ventouses, j’attends le léporidé de mes rêves.
Quand, tout à coup, Pépé Marius lève d’un mouvement rapide son lourd fusil Merkel à contre-platines, ajuste et tire à travers les feuilles encore présentes des chênes centenaires. Un oiseau tombe à une trentaine de mètres de nous, d’une culbute inattendue. Pépé Marius me dit alors : « Vas chercher le pigeon ramier ! ».
Je pars en courant, heureux et porte le volatile. Cette palombe me paraît bien bizarre, grosse comme une tourterelle turque, elle est striée sur le ventre et a le contour des yeux jaunes.
Nerveux et désolé, Pépé Marius s’exclame : « Ainsi soit-il, je viens de tuer un coucou ! A cette saison, il aurait déjà dû migrer vers des pays plus chauds. Le coucou est une espèce protégée et depuis l’année dernière, nous n’avons plus le droit de le prélever ».
Alors, il prend l’oiseau, le jette rapidement dans une haie touffue derrière nous. Je me mets à pleurer comme une source, puis je sanglote et je n’arrête de répéter : « Je veux garder l’oiseau que tu as tué Pépé, je veux garder le coucou ». Je ne comprends pas...
Papa et les autres chasseurs viennent nous chercher. Il est bientôt midi. Ousia nous fait la fête, comme si elle ne nous avait pas vus depuis six mois. Puis, elle se remet à chasser.
Nous rentrons à la voiture, quand derrière nous, Ousia arrive. Elle porte, en sa gueule, le coucou.
Je prends mon épagneul en mes bras et le tiens serré sur ma poitrine, le berce...et il se laisse faire, en grognant de satisfaction.
Pépé Marius est un homme de commerce aimable, ancien restaurateur puis parfumeur, qui adore ses petits enfants : « Garde l’oiseau, Guillaume, au diable les gardes fédéraux, s’ils m’attrapent, je payerai ! »
De retour à la maison, pourtant repu par cette journée de chasse, je prends dans la bibliothèque de Mémé Marie et de Pépé Marius, le livre sur les oiseaux et apprend tout ce qui concerne le coucou gris, cet oiseau qui parasite les nids des autres en y pondant ses œufs dedans.
Pendant que je lis, Ousia, la tête sur mes genoux, les yeux luisants de bonheur et de fatigue, surveille notre coucou posé près du livre.
Vous me manquez, Pépé Marius, Ousia… J’espère que là-haut, vous chassez encore ensemble…
Je vous aime.
Cette histoire n’a qu’un mérite : elle est vraie, entièrement vraie.
Guillaume POINAT
* Ousia en grec veut dire « la substance ou l’essence des choses »